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Patriarcat d'Antioche et de Jerusalem

Le Coran est-il sacré pour les musulmans ?

Le Coran est-il sacré pour les musulmans ?

Pierre Lory Islamologue et directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE) Le spécialiste de mystique musulmane explique pourquoi le Coran est considéré par les musulmans comme sacré, dans sa matérialité même.

Que représente le Coran pour les musulmans ?

Pierre Lory : Le Coran est pour eux la parole de Dieu, réellement.

Les musulmans disent que c’est une parole « incréée », c’est-à-dire qu’elle existait éternellement auprès de Dieu.

Quand un ­musulman récite le Coran, c’est le verbe de Dieu qui pénètre en lui, de manière presque physique.

Cela revêt une dimension presque ­sacramentelle, pour parler dans un langage catholique.

On a pu dire d’ailleurs que le Coran était en quelque sorte l’équivalent du Christ chez les musulmans : c’est le Verbe divin qui est offert aux hommes.

C’est pour cela que le texte coranique est beaucoup plus sacré chez les musulmans que la Bible ne l’est pour les ­chrétiens.

Son langage et l’agencement de ses mots sont donc sacrés…

P. L. : Oui, et quand il est écrit sur du papier, l’écriture elle-même devient profondément sacrée, imprégnée de parole divine.

Le Coran n’est pas seulement un message, c’est une théophanie.

À tel point que par la récitation du Coran, on s’élève vers Dieu, puisqu’on assimile les paroles mêmes que Dieu a données aux hommes.

Dans les courants mystiques par exemple, la méditation sur le Coran compte beaucoup : à force de s’imprégner de ses mots, nos qualités ­humaines deviennent progressivement des qualités divines.

C’est ce que disent les soufis.

Y a-t-il une sacralité de l’objet lui-même ?

P. L. : Bien sûr.

Pour les musulmans, il ne faut, par exemple, jamais mettre le Coran dans un lieu impur, sale.

Dans une bibliothèque, il est toujours placé dans un lieu élevé, pour qu’il ne soit pas en dessous des autres…

Il est relié, isolé, manié avec beaucoup de soin.

L’histoire de l’édition du ­Coran en témoigne : le Coran imprimé est très récent !

L’édition date des années 1920, bien après ­Gutenberg.

­Auparavant, elle était manuscrite : le Coran était recopié par des gens pieux, qui mettaient beaucoup de foi dans leur tâche.

L’hésitation fut longue avant d’imprimer de façon automatique le texte ­sacré. ­

Aujourd’hui, la question ne se pose plus.

Lorsque les pages du Coran sont brûlées ou déchirées, comment comprendre le sentiment d’un musulman ?

P. L. : À titre de comparaison, il faudrait imaginer le sentiment d’un catholique traditionaliste face à des hosties piétinées.

Bien sûr, la violence qui peut s’ensuivre est injustifiable.

Mais cela blesse profondément beaucoup de ­musulmans, c’est certain.

Cela a aussi des conséquences sur l’interprétation qu’on peut avoir du texte coranique…

P. L. : Du fait que le Coran est considéré comme la parole éternelle de Dieu, beaucoup de musulmans traditionnels estiment qu’il faut l’interpréter dans un sens complètement littéral.

C’est tout un débat – qui remplit des ­bibliothèques ! – pour savoir comment l’interpréter et dans quelle mesure il faut l’historiciser.

Le texte coranique peut être lu de deux manières : soit on considère que le Coran est une parole divine, éternelle, auquel cas elle ne dépend pas de l’histoire.

Mais c’est un peu gênant, parce que le Coran fait allusion à des événements historiques.

Comment ces événements sont-ils à comprendre dans l’éternité ?

Cela reviendrait à dire que tout a été décidé par Dieu de toute éternité.

En d’autres termes, affirmer que le Coran est un livre éternel implique la prédestination, parce que tout ce qui y est raconté était déjà prévu dans la prescience divine.

L’autre interprétation considère que le Coran a été révélé à des hommes libres : il apporte des ­lumières pour éclairer les choix.

Si les hommes sont libres, ils peuvent décider par eux-mêmes.

Toute la pensée musulmane est travaillée par cette question-là.

Recueilli par Marguerite de Lasa
La Croix

 
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