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Patriarcat d'Antioche et de Jerusalem

Le désarroi partagé des Russes et des Ukrainiens

Le désarroi partagé des Russes et des Ukrainiens

Au séminaire orthodoxe russe en France, le désarroi partagé des Russes et des Ukrainiens

Par Marguerite de Lasa, le 16/3/2022 à 12h31

À Épinay-sous-Sénart, le séminaire orthodoxe russe accueille une vingtaine de séminaristes, dont une majorité de Russes et d’Ukrainiens. Depuis le début de l’offensive, les séminaristes des deux pays montrent une profonde unité et partagent leur tristesse et leur désarroi.

Dans la fraîcheur humide de ce dimanche matin, des silhouettes en soutane noire sortent du bâtiment au

compte-gouttes, s’avancent à petits pas pressés vers la chapelle, montent prestement les trois marches, et

disparaissent derrière la lourde porte de bois. La liturgie du 1er dimanche de Carême commence dans la chapelle du séminaire orthodoxe russe en France d’Épinay-sous-Sénart (Essonne). Les séminaristes ont formé un chœur sur le côté droit. Parmi ces longues ombres noires indistinctes, dont les voix s’élèvent et se rejoignent pour chanter les psaumes, il y a des jeunes hommes russes, et des Ukrainiens.

LES FAITS. Ukraine : catholiques et protestants interpellent le Patriarcat de Moscou

« Le Séminaire orthodoxe Sainte-Geneviève d’Épinay-sous-Sénart, où Russes et Ukrainiens vivent en harmonie depuis plus d’une décennie, n’a d’autre camp dans cette guerre que celui de ses innocentes victimes », avait écrit le recteur du séminaire, Alexandre Siniakov, dans un communiqué daté du 9 mars.

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Au séminaire orthodoxe russe en France, le désarroi partagé des Russes... https://www.la-croix.com/print/article/1201205266

 

« Nous croyons exclusivement en l’Église une, sainte, catholique et apostolique, et pour cela nous faisons profession de ne croire à aucun empire humain, comme de récuser toute forme d’impérialisme », poursuit le document, qui condamne aussi le nationalisme comme une « idolâtrie ». Alexandre Siniakov dit ne reconnaître « l’existence des nations que pour la paix et la sécurité qu’elles procurent aux hommes », dont « la véritable citoyenneté » est « céleste ». Il appelle enfin « les autorités de la Fédération de Russie » « cesser leur sanglante offensive ».

Orthodoxie universelle

Le texte a été adopté à l’unanimité par les séminaristes. Dépendant du Patriarcat de Moscou, le séminaire
« n’a jamais été un lieu d’affrontements entre Russes et Ukrainiens », décrit François Esperet, prêtre orthodoxe français y officiant. Âgés de 20 à 30 ans, la vingtaine d’hommes qui vivent ici ont terminé leur séminaire dans leur pays d’origine, et viennent poursuivre leurs études dans des universités françaises.

« Au début de leur séjour, les séminaristes sont à égalité face à la difficulté d’apprendre la langue française, raconte François Esperet. Les différences entre les nations ne sont pas abolies, mais elles sont secondaires. C’est le lieu d’une orthodoxie universelle. »

La guerre rebat les cartes de l’orthodoxie ukrainienne

Pourtant, malgré la tristesse et le désarroi partagés, la guerre résonne différemment chez les séminaristes, russes ou ukrainiens. Artem a 28 ans, il est russe. Le matin du 24 février, lorsque la guerre a éclaté, il s’est réveillé avec un SMS d’un ami : « Nous nous sommes endormis comme des gens ordinaires et nous nous réveillons comme des agresseurs. » Ce jour-là, à la fac de Nanterre où il étudie la psychologie, Artem a bâclé son partiel d’anglais, séché ses cours, et est parti manifester devant l’ambassade de Russie.

« Mon église ne peut pas être en guerre »

Dans la foule, on lui a demandé : « Tu es ukrainien ? » Artem a commencé par avoir peur, puis a répondu :
« Non, je suis russe, et je suis contre cette guerre. » Et les gens autour de lui ont manifesté leur sympathie. Artem parle avec passion, se sent une responsabilité de témoigner. « Je suis chrétien et je crois qu’il faut toujours dire la vérité, dit-il. Dans mon pays, les gens ne peuvent pas dire que c’est la guerre. En France, je peux le faire sans que la police me frappe. C’est facile. Je dois le faire. »

PORTRAIT. À Lviv, un métropolite orthodoxe pour la rupture avec le patriarche de Moscou

Pour Artem, les déclarations du patriarche Kirill, le chef de l’Église orthodoxe russe, qui semble justifier l’invasion militaire au nom de l’unité de la Russie et de l’Ukraine, ont été difficiles à entendre : « J’ai consacré ma vie à l’Église russe, c’est ma famille », dit-il fermement. Il réfléchit, précise : « Je ne suis pas d’accord avec ce que dit le patriarche, et je ne me sens pas obligé d’adhérer à sa position. » Il s’arrête encore : « Mon Église ne peut pas être en guerre. Ce n’est pas une position chrétienne. »

« Surmonter cela ensemble »

Avec les séminaristes ukrainiens, Artem aborde le sujet librement, mais tous sont d’accord sur le point de départ : condamner l’offensive. « Nous comprenons bien qu’il faut séparer la politique de nos relations personnelles. »

Quelques jours après le début de la guerre, vers minuit, Artem a aperçu de la lumière à travers la porte de la chambre de son ami ukrainien, Alexey. Les deux hommes ne s’étaient pas revus depuis le commencement de l’invasion. Artem a frappé à la porte, est entré et s’est excusé auprès de son ami. « Ne dis pas de bêtises, je n’ai rien contre toi, tu n’as pas à t’excuser », lui a répondu Alexey. L’Ukrainien et le Russe ont parlé longuement.

« C’était nécessaire de pouvoir s’embrasser et se dire que nous devions surmonter cela ensemble », estime aujourd’hui Artem.

« La théologie orthodoxe doit être dépoutinisée »

Alexey, lui, a du mal à en parler. Tous les matins, en se levant, ce séminariste ukrainien de 32 ans envoie « des centaines de messages » à tous ses proches en Ukraine. À sa mère, restée à Kharkiv, qui a perdu sa maison et ne veut pas fuir en laissant la grand-mère seule ; à sa famille paternelle, qui vit près de Kiev et qui a été bombardée. « Mes proches sont devenus comme des Tsiganes, sans maison », résume-t-il, d’un sombre sourire. Quand ses amis français lui envoient des messages pour prendre de ses nouvelles, Alexey attend un long moment avant de répondre. Il ne sait pas quoi leur dire.

 

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Au séminaire orthodoxe russe en France, le désarroi partagé des Russes... https://www.la-croix.com/print/article/1201205266

Depuis le début de la guerre, son monde s’est effondré. « J’ai été élevé dans cette idée que les deux peuples étaient frères, que nous avions une même foi, j’adore la littérature russe, ukrainienne, pour moi c’est inséparable », murmure-t-il, incrédule. Quand Alexey parle, ses phrases s’entrechoquent, semblent dévaler des montagnes, s’arrêtent brusquement. Son visage affiche un air douloureux. Il tente de comprendre, ne comprend pas. « Comment expliquer aujourd’hui que l’orthodoxie est bonne ? Que nous sommes frères quand même ? »

« Un chaos entier »

Alexey n’attend plus rien de Kirill : « Il n’existe pas. » Les premiers jours de la guerre, il attendait ses déclarations. Mais quand il a entendu ses premiers discours, constaté que son patriarche ne condamnait pas l’offensive, il s’est résigné. « C’est bon. J’avais compris. » Pour autant, il ne s’oppose pas à ce que le nom de Kirill soit commémoré pendant la liturgie : « Nous prions d’abord pour qu’il guide l’Église. Ce n’est pas pour cela que nous sommes d’accord avec lui. »

À LIRE. Kirill, un patriarche russe très politique

Alexey devait être ordonné bientôt. Le fera-t-il ? Dans le Patriarcat de Moscou ? Il ne sait plus. « Je veux croire et mourir orthodoxe, mais... je deviens anticlérical », constate-t-il, désabusé. « Si la foi existe, c’est parmi le simple peuple, et les prêtres », pense-t-il à voix haute. Et il reprend : « Tout ce que je croyais, ce que je voulais dans ma vie est tombé. C’est un chaos entier. La seule chose qui demeure, c’est le Christ. »

Marguerite de Lasa

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