19 Février 2022
Le Temps de la Septuagésime comprend la durée des trois semaines qui précèdent immédiatement le Carême.
Il forme une des divisions principales de l’Année liturgique, et il est partagé en trois sections hebdomadaires, dont la première porte seulement le nom de Septuagésime, la seconde celui de Sexagésime, et enfin la troisième celui de Quinquagésime.
On voit, dès le premier abord, que ces noms expriment une relation numérique avec le mot Quadragésime, dont notre mot Carême est dérivé.
Or, le mot Quadragésime signifie la série des quarante jours qu’il faut traverser pour arriver à la grande fête de Pâques.
... Au XII° siècle, Pierre de Blois exprimait ainsi la pratique de son temps : « Tous les religieux commencent le Carême à la Septuagésime, les « Grecs à la Sexagésime , les Ecclésiastiques à la Quinquagésime ; enfin, toute l’armée des chrétiens qui milite sur la terre, le Mercredi suivant. »
... Le temps où nous entrons renferme de profonds mystères ; mais ces mystères ne sont point propres seulement aux trois semaines que nous devons traverser pour arriver à la sainte Quarantaine ; ils s’étendent sur toute la période de temps qui nous sépare de la grande fête de Pâques.
Le nombre septénaire est le fondement de ces mystères…
Saint Augustin nous servira d’introducteur à tant de merveilleux secrets. « Il y a deux temps, dit ce grand Docteur dans son Enarration sur le Psaume CXLVIII : l’un, celui qui s’écoule maintenant dans les tentations et les tribulations de cette vie ; l’autre, celui qui doit se passer dans une sécurité et dans une allégresse éternelles.
... Ces deux temps, nous les célébrons, le premier avant la Pâque, le second après la Pâque.
Le temps avant la Pâque exprime les angoisses de la vie présente ; celui que nous célébrons après la Pâque signifie la béatitude que nous goûterons un jour.
Voilà pourquoi nous passons le premier de ces deux temps dans le jeûne et la prière, tandis que le second est consacré aux cantiques de joie ; et, pendant sa durée, le jeûne est suspendu. »
L’Église, interprète des saintes Écritures, nous signale deux lieux différents qui sont en rapport direct avec les deux temps dont parle saint Augustin : ces deux lieux sont Babylone et Jérusalem.
Babylone est le symbole de ce monde de péché, au milieu duquel le chrétien doit passer le temps de l’épreuve ; Jérusalem est la patrie céleste au sein de laquelle il se reposera de tous ses combats.
Le peuple d’Israël, dont toute l’histoire n’est qu’une grande figure de l’humanité, fut littéralement exilé de Jérusalem et retenu captif à Babylone.
Or, cette captivité loin de Sion dura soixante-dix ans ; et c’est pour exprimer ce mystère que, selon Alcuin, Amalaire, Yves de Chartres, et généralement tous les princes de la Liturgie, l’Église a définitivement fixé le nombre septuagénaire pour les jours de l’expiation, prenant, selon l’usage des saintes Écritures, le nombre ébauché pour le nombre parfait.
La durée du monde lui-même, comme portent les antiques traditions chrétiennes, se partage aussi selon le septénaire.
La race humaine doit traverser sept âges, avant le lever du jour de la vie éternelle.
Le premier âge s’est étendu depuis la création d’Adam jusqu’à Noé ;
le second depuis Noé et le renouvellement qui suit le déluge jusqu’à la vocation d’Abraham;
le troisième commence à cette première ébauche du peuple de Dieu, et va jusqu’à Moïse par les mains duquel le Seigneur donna la loi ;
le quatrième s’étend de Moïse à David, en qui la royauté commence dans la maison de Juda ;
le cinquième embrasse la série des siècles puis le règne de David jusqu’à la captivité des Juifs à Babylone ;
le sixième est la période qui s’écoula depuis le retour de la captivité jusqu’à la naissance de Jésus-Christ.
Vient enfin le septième âge, qui s’est ouvert à l’apparition miséricordieuse du Soleil de justice, et doit durer jusqu’à l’avènement redoutable du Juge des vivants et des morts.
Telles sont les sept grandes fractions des temps, après lesquelles il n’y a plus que l’éternité.
Pour encourager nos cœurs, au milieu des combats dont la route est semée, l’Église, qui luit comme un flambeau au milieu des ombres de ce séjour terrestre, nous montre un autre septénaire qui doit faire suite à celui que nous allons traverser.
Après la Septuagésime de tristesse, la radieuse Pâque viendra avec ses sept semaines d’allégresse nous apporter un avant-goût des consolations et des délices du ciel.
Après avoir jeûné avec le Christ et compati à ses souffrances, le jour viendra où nous ressusciterons avec lui, où nos cœurs le suivront au plus haut des cieux ; et, peu après, nous sentirons descendre en nous l’Esprit divin avec ses sept dons.
Or, ainsi que le remarquent les mystiques interprètes des rites de l’Église, la célébration de tant de merveilles ne nous demandera pas moins de sept semaines entières, de Pâques à la Pentecôte.
... Comme on le voit, le chrétien au temps de la Septuagésime, s’il veut entrer dans l’esprit de l’Église, doit faire trêve à cette fausse sécurité, à ce contentement de soi qui s’établissent trop souvent au fond des âmes molles et tièdes, et n’y produisent que la stérilité.
Heureux encore lorsque ces dispositions n’amènent pas insensiblement l’extinction du véritable sens chrétien !
Celui qui se croit dispensé de cette vigilance continuelle tant recommandée par le Sauveur, est déjà sous la main de l’ennemi ; celui qui ne sent le besoin d’aucun combat, d’aucune lutte pour se maintenir et pour cheminer dans le bien, à moins d’avoir été honoré d’un privilège aussi rare que dangereux, doit craindre de ne pas être dans la voie de ce royaume de Dieu qui ne s’enlève que de vive force; celui qui oublie les péchés que la miséricorde de Dieu lui a pardonnes, doit redouter d’être le jouet d’une illusion périlleuse.
Rendons gloire à Dieu dans ces jours que nous allons consacrer à la courageuse contemplation de nos misères, et venons puiser, dans la connaissance de nous-mêmes, des motifs nouveaux d’espérer en celui que nos faiblesses et nos fautes n’ont point empêché de s’abaisser jusqu’à nous, pour nous relever jusqu’à lui.
Dom Guéranger